Barrio Latino, Paris, 12ème

Le Jeu de l'amour et du hasard

Je l'ai rencontré, disons plutôt croisé, dans les moiteurs caliente du Barrio Latino. C'est moi qui l'ai vu la première. Du haut du patio, on embrasse toute la piste de danse. J'aime bien me percher là et observer tout ce monde venu pour être vu et qui s'agite comme si de rien n'était. C'est la vie parisienne... M'as-tu vu ? Je ne vois pas que tu m'as vu. Cela fait bien longtemps que je ne scrute même plus le milieu de la piste. Quelques malheureuses expériences m'ont prouvé à mes dépens que seules les débutantes comme moi viennent se faire prendre aux jeux de miroir sans espoir des narcisses vite fanés.

Non, celui-là, je l'avais finalement trouvé, après quelques dizaines de minutes d'observation méticuleuse, dans la foule des quidams, qui ondulent mollement sur le bord de la piste, un verre de mojito à la main, cultivant l'ambiguïté de la situation en ayant l'air de dire : " Détrompez-vous. Je ne danse pas. Je suis tout simplement in..." Il était là, donc, au bord de la piste, s'appliquant à avoir l'air cool, parlant d'un air dégagé à des amis qui ne semblaient rien entendre de ce qu'il leur disait. Une situation banale de boite de nuit, quoi. Sauf que ce mec était tout simplement ca-non. A ne pas comprendre comment toutes les filles n'étaient pas déjà en train de se l'arracher. Petit tour d'horizon. Personne personne aux aguets. Je suis vite descendue de mon perchoir pour étudier ce mortel de plus près.

Pas d'erreur : belle stature, grandes mains, beau brun au sourire lumineux. Un style vestimentaire très parisien : chemise de créateur un peu destructurée, pantalon zippé, un raffinement exprimé dans des marques d'usure trop bien placées pour être dues au temps. Mais, derrière ce paravent de toiles savamment disposées, le corps s'élevait comme un pic rocheux solide, témoignant d'une enfance grandie en plein air, passée à se mesurer aux éléments pour atteindre un certain point de plénitude dans l'épanouissement de son être. Cet homme ne demandait plus qu'à être cueilli...

C'est quand il a fait mine de vouloir se faire servir un autre mojito, que je me suis mise en chasse. Se placer à côté de lui. Bavarder en même temps qu'on attend. Qu'est-ce-q'y a commonde ! Leurs coktails sont super sympas ! Aouais, tu préfères cedu Baramundi ? Non jysuis jamais alléeMais caa l'air super ! Tu prends quoi ? Les phrases banales, qui engagent à rien. Car la vraie communication se fait dans les corps, dans une certaine façon d'accueillir le regard de l'autre et de le lui renvoyer. Un peu comme un jeu de ping-pong, dans lequel chaque échange résonnerait comme un gong au fond de vos cellules. Tu faisquoi dans la vieTesmannequin ? Non, chuis dans la communication. En vrai, je fais du contrôle de gestion dans un grand cabinet. Mais il paraît que c'est moins sexy... Et comme l'important, dans ces soirées, c'est surtout de décrocher un deuxième entretien, je mens un peu sur mes références. Quitte à expliquer plus tard que la communication des résultats est un exercice particulièrement périlleux pour les gens de ma profession... Ca a marché pour Cendrillon, pourquoi ca ne marcherait pas pour moi ? Si jvais au Baramundi samdi, ca te dit que jtappelle ? Ouais pourquoipas si chuis libre... Traduction : tu parles que ça m'dit ! vivment dimanche ! Vous voyez, ça marche, Cendrilllon !

J'ai profité qu'une de mes amies avait envie de partir. De toute manière, quand les numéros sont échangés, ça sert pas à grand chose de rester, et le ping-pong m'avait fatiguée. Woua t'as trop de la chance ! J'aime bien ces sorties de boite au milieu de la nuit, où chacune fait son tableau de chasse en attendant le taxi. Les échanges de numéro, tu sais cquec'est... D'ici à squ'ils rappellent... Surtout ne jamais vendre la peau de l'ours... Celle-là, je compte bien me la garder pour mon profit personnel...