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L'abbaye de Thélème
11 juillet 2008

A la manière de Voltaire (tant qu'on y est...)

Il y avait en Californie, dans la banlieue huppée d'Hystéria Lane, un jeune garçon, frais émoulu de l'université, dont l'allure sportive disait le dynamisme et l'esprit d'entreprise. Il se nommait Eugène (1), parce que son père, très fortement attaché aux valeurs d'excellence, lui avait appris qu'il faut toujours être le meilleur en tout, envers et contre tous.

Monsieur Butcherson était en effet devenu président-directeur-manager-collaborateur général et principal d'une grosse holding de Los Angeles - dont nous tairons ici le nom, par respect de la vie privée des citoyens - en éliminant systématiquement tous ses rivaux par la force de son efficacité professionnelle, et aussi, parfois, par la force d'intimidation de ses relations dans la mafia. Monsieur Butcherson professait que le monde dans lequel nous vivons est le meilleur des mondes possibles car la Nature, intelligemment aidée par la Société, élimine au fur et à mesure les êtres les moins aptes à porter l'humanité à son point de développement le plus abouti. Des milliers d'Africains meurent du SIDA tous les jours ? C'est parce qu'ils n'ont pas suffisamment su entrer dans l'Histoire. Des milliers d'ouvriers se retrouvent au chômage à cause des délocalisations ? C'est parce qu'ils n'ont pas su prouver leur rentabilité face aux Chinois, aux Indiens et aux Roumains qui, eux, savent ce que c'est que le travail et ne perdent pas leur temps à faire des grèves pour réclamer des avantages sociaux morobolants. Le monde dans lequel nous vivons est rude, brutal, violent, certes, mais il vaut toujours mieux que les sociétés communistes, qui nous ont assez bassinés comme ça avec leur lutte des classes, et qui rigolent un peu moins depuis qu'elles ne peuvent plus se cacher derrière le mur de Berlin. Si l'on veut réussir en ce bas monde, il faut savoir agir, sans perdre son temps à réfléchir ! Voilà le discours que Monsieur Butcherson servait à sa famille tous les soirs, au dîner, la panse bombée d'une bonne côte de boeuf bien saignante, préparée par Dolorès, une domestique portoricaine qu'il avait sauvée de la prostitution, en échange de menus travaux domestiques à longueur de journée dans la villa.

Eugène écoutait attentivement, et croyait innocemment, car il aimait beaucoup la côte de boeuf. Il concluait qu'après le bonheur de disposer à son grès de la belle Dolorès, le second degrès de bonheur était celui d'être Monsieur Butcherson et le troisième celui d'être éduqué par son père, le plus grand PDG des Etats-Unis et, par conséquent, de toute la planète. 

(1) L'éditeur de ce manuscrit - trouvé par hasard dans la poche d'un écrivain, mort d'hypocondrie, comme tous les artistes qui ne savent pas s'adapter aux goûts du public - précise pour les non-hellénistes que le prénom Eugène vient du grec "eu-genos", bien né, qui a donné, en français, l'adjectif "eugénisme". Maintenant, si vous trouvez que ce prénom est mal choisi, vous pouvez toujours aller vous faire voir, pour la modique somme de 690 euros (voir conditions), dans un ravissant pays ensoleillé, dont les rives sont tendrement baignées par la Méditerranée, au moins depuis l'époque où les Grecs sont allés expliquer au Troyens, devenus par la suite les Turcs, qu'ils n'étaient pas des mauviettes....

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