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L'abbaye de Thélème
12 octobre 2007

Lily Prior, La Cucina, Grasset, 2000

Echange cours de cuisine contre leçons de sensualité….

         Une Sicile intemporelle, celle des villages agricoles où tout le monde se surveille sans avoir l’air de comprendre les magouilles de la mafia. Une Sicile généreuse, celle du caciocavallo et des citronniers, celle dont la cuisine ancestrale se transmet depuis l’antiquité et qui a élevé la préparation de la sauce tomate au rang des arts majeurs. Une Sicile torride, où la chaleur vous fait couler la sueur entre les seins et le long des reins. C’est dans ce cadre savoureux que Rosa Fiore exerce ses talents de cuisinière passionnée, sensuelle et même obsessionnelle.

         La passion de Rosa pour la cuisine est un destin. Depuis son enfance, Rosa prépare les produits de la ferme familiale pour nourrir les membres du clan, ainsi que ses employés. C’est avec l’assassinat de son premier amour, que Rosa s’adonne corps et âme à la cuisine, celle qui console et qui calme les nerfs, même si elle doit virer à l’obsession. C’est ainsi qu’elle remplit les greniers familiaux de montagnes de conserves de tomates, de fruits, de charcuterie, de ricotta, au point de faire ombrage aux fabriques locales. Elle quitte alors son village natal pour Palerme, où elle devient une vieille fille énorme, qui compense sa solitude en se préparant une cuisine digne des festins de Gargantua. Mais cette passion quasi pathologique pour la bonne chair, masque, en fait, une sensualité débordante. Une rencontre avec un étranger venu faire des recherches sur la gastronomie sicilienne, L’Inglese,  réveille la femme qui sommeille en Rosa. Il l’initie aux plaisirs de la sensualité, en échange, elle partage avec lui la cuisine des sentiments, celle que l’on offre à l’être qu’on aime, en guise de préliminaire…

Dans La Cucina, tout est exagéré. Les personnages sont caricaturaux : la mère nymphomane, le curé pervers et homosexuel, le voisin voyeur, les frères siamois qui marchent sur trois jambes… Mais cela vise surtout à éveiller notre sourire et à évoquer en nous la vision d’une Sicile haute en couleurs, couverte de citronniers et de roses grimpantes, débordant de porcs grassouillets, regorgeant de poissons et de crustacés. L’histoire elle-même est pleine de rebondissements invraisemblables : un chagrin d’amour plonge Rosa dans un tel état qu’elle déclenche un incendie dans son immeuble ; elle est tellement impressionnée par sa rencontre avec L’Inglese qu’elle réveille tout le voisinage par les cris de plaisir que lui font pousser un rêve où il est présent. Ces péripéties sont à l’image de cette vie passionnée, que Rosa dévore à pleines dents, quelle qu’en soit l’amertume.

Ainsi, La Cucina est un roman écrit dans le désir d’embrasser la vie, toute la vie : l’amour sensuel qui vous fait complètement perdre l’esprit, bien sûr, mais aussi les meurtres,  les naissances difformes et le clan familial, accueillant et menaçant à la fois… Il s’agit d’un hommage vibrant à la Sicile, à ses paysages merveilleusement colorés et parfumés, à sa cuisine aux saveurs bouleversantes, à sa mafia piquante comme un poivre fraîchement moulu. Rosa y apparaît alors comme une allégorie de cette terre généreuse, qui, par une alchimie difficile à comprendre, transmue les crimes et les souffrances en récits savoureux et pleins de vie.

L’Inglese me lança un dernier regard qui fit instantanément monter ma température, puis se dirigea vers la sortie. Au moment d’emprunter la porte à tambour, il fit soudain demi-tour et revint vers moi.

« Signorina ?

-          Signor ?

-          Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’ai envie de vous faire l’amour. » […]

Cette nuit-là, fait rarissime, j’eus du mal à trouver le sommeil et à trois heures du matin j’étais dans ma petite cuisine en train de préparer un plat de formaggio all’Argentiera.

Je fis fondre légèrement dans une poêle des tranches de ce fromage qu’on appelle caciocavallo, avec un peu d’ail haché, puis je l’aspergeai de quelques gouttes de vinaigre de vin et d’origan frais avant d’en tartiner une épaisse tranche de pain de campagne. L’arôme puissant du fromage fondu et de l’ail qui s’échappait de ma cuisine chatouilla les narines de tous les locataires de l’immeuble et les réveilla. Les enfants, pris d’une faim imaginaire, se mirent à pleurer, les chiens hurlèrent et les maris réclamèrent une préparation semblable à leur épouse, sinon ils iraient chez moi la déguster. Les épouses nous envoyèrent au diable, moi et mes talents culinaires, et exigèrent qu’on les laisse dormir. […]

         Cette cacophonie ne réveilla, en revanche, ni l’épicière loucheuse ni son époux, tous deux âgés d’une bonne centaine d’années, car par chance ils ne dormaient pas. Cela faisait quatre-vingts ans qu’ils avaient l’habitude de faire l’amour le mardi soir et ce mardi soir-là ne faisait pas exception.

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