Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'abbaye de Thélème
12 mars 2008

Quatre quarts chocolat

L'enfance de l'art

Ma grand-mère savait que j'aimais le chocolat.

Aussi, tous les ans, pour mon anniversaire, c'était rituel : nous allions chez Mamie manger le gâteau au chocolat qu'elle avait préparé en mon honneur. Pour ma part, je m'en réjouisais quelques jours à l'avance, me demandant avec jubilation quelle surprise ma grand-mère pouvait bien me préparer. Maintenant que j'ai moi-même une belle-mère, je peux m'imaginer que mes parents ont dû avoir plus d'une fois l'envie d'inventer un prétexte et de fêter mon anniversaire autrement.  Mais je crois que, pendant toutes ces années, ce qui a empêché mes parents de se lasser de cette cérémonie répétitive, c'est que le gâteau, bien que toujours au chocolat, n'a jamais une seule fois été le même. 

J'ai donc grandi, de gâteau en gâteau, jusqu'au moment où j'ai atteint l'âge de fêter l'anniversaire de mes propres enfants. Ma grand-mère, elle, ne sucrait quand même pas encore les fraises ; mais il lui devenait de plus en plus difficile de travailler la pâte et de se baisser pour installer le moule au fond du four très chaud. Il allait donc falloir que je m'y mette, si je ne voulais pas que ses gâteaux au chocolat ne soient plus qu'un souvenir tout juste bon à allécher mes petits-enfants.

Ce que je vous transmets-là, c'est donc le secret de ma grand-mère elle-même. En préparant ce gâteau, c'est un peu de sa tendresse et de son immense sens de l'humour que vous perpétuez.

" Ma fille, m'a-t-elle dit, - elle m'a toujours appelée comme ça, au grand dam de ma mère - le problème des gâteaux, ça a toujours été les proportions impossibles à retenir et variables à l'infini en fonction de recettes plus ou moins fiables. J'ai fini par décider de simplifier le travail de ma mémoire pour laisser libre champ à mon imagination. Ainsi, les proportions de tous mes gâteaux au chocolat s'articulent autour du chiffre deux. Je fais fondre 200 grammes de chocolat avec 200 grammes de beurre. Puis j'ajoute 200 grammes de sucre. J'incorpore progressivement deux fois deux oeufs. Et enfin, pour rompre la monotonie, j'ajoute une cuillère à soupe de farine. Pour la température du four... 200°C, bien entendu... pendant environ 20 minutes, bien sûr. Avec ça, ta maison peut brûler, tu peux être obligée de migrer à l'autre bout de la planète, ou même sur la lune, tu sauras toujours faire mon gâteau au chocolat. Il n'y a que deux exigences à remplir coûte que coûte : utilise toujours les meilleurs ingrédients à ta disposition et ne laisse jamais le gâteau cuire trop longtemps.

- Mais comment tu as pu nous faire croire à des gâteaux différents pendant toutes ces années ?, j'ai demandé interloquée.

- Le secret de mes gâteaux, c'est mon imagination, ma sensibilité. Si tu te laisses toucher par ce qui se passe autour de toi, par la vie qui passe, les gens qui évoluent, les modes, comme on dit aujourdhui, alors tu ne pourras jamais faire deux fois le même gâteau. Tu peux tout faire varier à l'infini : beurre doux ou demi-sel, sucre blanc ou complet, chocolat noir, au lait ou aux noisettes, farine de blé, de châtaigne ou poudre d'amandes... Tu peux ajouter tout ce que tu veux : des fruits secs, frais, confits ou au sirop, des épices, du rhum, du Grand-Marnier, du café... Et je ne te parle pas de la diversité des moules ! Une vie entière ne suffirait pas à épuiser tous les possibles. D'autant plus que mon meilleur ingrédient, intarissable et irremplaçable pendant toutes ces années, ça a toujours été toi et ton insatiable gourmandise. Sans la confiance que tu m'as accordée, je n'aurais jamais inventé tous ces gâteaux et peut-être qu'aujourd'hui je ne serais rien qu'une mémé ronchon, qu'on invite quand même à Noël, parce que le contraire serait indécent."

Ce soir-là, de retour à la maison, j'ai embrassé mes enfants très fort et j'ai filé dans la cuisine. 

Publicité
Commentaires
L'abbaye de Thélème
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité