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L'abbaye de Thélème
1 février 2008

Gratin de courge aux châtaignes

L'amour vache...

C'est vrai, quand Jean-Claude a fermé la porte de chez nous, mettant fin, par ce geste, à vingt-trois ans et sept mois de vie commune, j'ai pleuré. C'était inévitable. Me retrouver seule au milieu de cette maison que nous avions choisie ensemble en pensant que, malgré ses deux étages et son grenier, elle serait encore trop petite pour tous nos projets, ça m'a dévastée. Pendant plusieurs heures, je n'ai rien pu faire d'autre que rester affalée sur le canapé du salon, immobile, muette, posée là, comme toutes ces choses qu'il venait d'abandonnner en même temps que moi. Je me sentais vidée. Il ne pouvait plus rien m'arriver. J'allais me pétrifier progressivement et l'on me retrouverait dans quelques jours, figée à tout jamais dans mon chagrin, inusable statue de l'amour conjugal atomisé.

Et puis, j'ai commencé à avoir des fourmis dans les jambes. Mon corps se refusait à devenir dur comme du bois. Je sentais la douleur me picoter avec acharnement. Il a fallu que je bouge. D'abord, j'ai boité précautioneusement sur le carrelage glacé du salon. Attirée par la lumière d'hiver, qui filtrait par la baie vitrée, j'ai eu envie de marcher dans le jardin. Pauvre jardin ! Il était aussi ravagé que moi ! Et mes légumes, mes chers légumes négligés ! Quelques feuilles de céleri pendouillaient lamentablement sur leur tige et, dans un coin près de la haie de thuyas, une courge avait fini d'enfler. C'est de sa faute ! Jamais je n'aurais osé penser ça... Ca s'est pensé tout seul en moi, comme une voix amère et rancunière, qui me rappelait tous ces soirs de soit-disant bonheur, où je préparais le dîner l'estomac plombé. Moi, je nous aurais bien cuisiné une petite soupe de légumes toute simple et primesautière. Rien ne me plaisait tant que ces samedis après-midi à gratter la terre en pensant à tout ce qu'elle me rendrait en retour de victuailles savoureuses.  Mais, Monsieur, il lui fallait sa viande, sa barbaque quotidienne ! Monsieur l'ogre réclamait sa dose de chair fraîche ! Et moi, comme une idiote, je lui cuisais ses pavés sanguinolents, qu'il me forçait à partager avec lui. Et tout ça pour qu'il parte avec une poulette, et même pas bressane !

De rage contre lui, et encore plus contre moi-même, j'ai arraché la dernière tige de céleri mangeable et je me suis emparé de ma grosse courge. Arrivée dans la cuisine, j'ai sorti ma planche et mon grand couteau. Je n'allais quand même pas me laisser faire ! J'ai découpé un morceau de la courge que j'ai débarrassé de sa peau et coupé en gros dés. Puis c'est la tige de céleri qui a fini en tronçons, après un petit nettoyage. Découper vigoureusement ces légumes me faisait du bien, un peu comme une vengeance contre ces années perdues à faire plaisir à ce Jean-Claude, qui me sortait par les pores. Il me fallait trancher dans le vif ces liens du mariage qui m'avaient garottée trop longtemps ! Un gros oignon ferait l'affaire...

Voilà, tout était en morceaux. Je me raidissais contre l'odeur de l'oignon qui me picotait le nez. Pas question de verser une larme. Ou alors une larme d'huile d'olive au fond d'une poêle bien chaude, pour y faire revenir d'abord l'oignon, puis le céleri, enfin la courge. Je me suis alors souvenu que j'avais, au fond d'un placard, un petit bocal de marrons, offert au début de l'automne par ma "belle-mère chérie". J'allais lui faire sa fête à celui-là aussi... Je l'ai ouvert et j'ai concassé quelques marrons pour les jeter dans la poêle avec le reste des légumes. Un peu de sel de céleri, de noix de muscade et de poivre, ça commençait à sentir bon.

En touillant cette poêlée, j'ai fini par me dire que ce départ avait du bon, que j'allais peut-être pouvoir penser davantage à moi. Et d'abord, plutôt que de me manger ma tambouille telle quelle, j'allais m'en faire un bon gratin. J'ai préchauffé le four à 175°C et je me suis mise à préparer une légère croûte avec 5O grammes de parmesan, 25 grammes de beurre et, pourquoi pas, 50 grammes de farine de châtaignes pour s'assortir avec les marrons. J'ai allongé tendrement mes légumes au fond d'un plat et je les ai recouverts d'une pluie de cette pâte sablée friable que je venais de réaliser. J'ai déposé le plat dans le four et l'ai réglé pour une demi-heure.

Pendant la cuisson, je me suis rendue à la salle de bains pour effacer sur mon visage les dégâts du départ de mon ancien mari. J'avais encore de beaux restes, une fois remaquillée. Pour soigner mon coeur mis à rude épreuve, je me suis servi un verre de vin en trinquant au prochain homme de ma vie qui, je vous l'assure, sera végétarien !

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